Ivres d’utopie collective !

Retour sur 1 chavirante journée d’été au Bateau Ivre

Certains jours, on peut partir très loin tout en restant tout près de chez soi.

Certains jours, « il suffit de passer le pont » (de chemin de fer) pour basculer dans un autre monde. Le 12 juillet 2022 fut de ces journées-là pour les Porte-Voix. Une journée sans quitter Tours, pour embarquer à bord d’un des lieux les plus emblématiques de la ville, au 146 rue Édouard Vaillant. 

Une journée pour vibrer au diapason d’une aventure collective et citoyenne hors du commun, d’une Particule citoyenne qui s’ignore : Le Bateau Ivre ! Récit en 10 façons.

De la façon de ralentir

« Qui trop embrasse, mal étreint. »  De ce dicton d’antan, les Porte-Voix ont tiré une belle leçon. 

Avec cette journée au Bateau Ivre, ils ont réévalué leurs objectifs en inaugurant un nouveau format de retrouvailles, plus modeste mais aussi plus gratifiant que les précédents. En effet, la densité du programme des premières journées de rencontre avait tendance à générer frustrations et goût d’inachevé. On voulait tout à la fois se découvrir, découvrir un lieu, travailler, faire ensemble, avancer sur les projets… tout ça tous azimuts, nous laissant essoufflés et avec le sentiment d’être passé à côté du lieu qui nous recevait. Aussi avons-nous fait le choix de nous recentrer sur une seule finalité : découvrir un lieu et/ou un projet inspirant, en rencontrant celles et ceux qui le font (Particule ou non) pour nous imprégner, nous questionner, nous nourrir. La journée au Bateau Ivre fut la 1ère de celles-là et le verdict est sans appel : on valide le format pour toutes les rencontres à venir ! 

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De la façon de bien s’entourer

Dans notre musette cet été-là, nous avions la chance d’avoir deux chevilles ouvrières de choc, sans lesquelles cette journée aurait pu faire long feu. 

En stage chez Villes au Carré sur le volet démocratie permanente, notre jeune pro Clarissa Reali s’est impliquée sans compter pour que les Porte-Voix puissent retirer un maximum de bénéfices et d’enseignements de cette journée : « un gros morceau » de son expérience de 4 mois chez V2, selon ses propres mots. 

Bruno Olivier, quant à lui, est le tisseur du lien entre le Bateau Ivre et les Porte-Voix. En tant qu’animateur de la chaloupe Débat public du Bateau Ivre, nous lui devons d’avoir réussi à connecter les Porte-Voix à la dynamique d’initiative citoyenne qui agite le Bateau Ivre depuis 12 ans. 

De la façon de tirer parti des imprévus

On sait combien les étés tourangeaux sont dense de rendez-vous à partager. Face à la profusion de propositions, il faut souvent faire des choix… et renoncer. 

Ainsi, bien que prévue de longue date, notre journée au Bateau Ivre a bien failli basculer dans le camp des sacrifiés de l’été, faute de participants. Mais après avoir battu le rappel, nous avons finalement réussi à mobiliser une belle délégation de volontaires… sauf que le Bateau Ivre s’était, dans l’intervalle, noyé dans son agenda chargé, et ne nous attendait plus.

Finalement, nous avons recomposé un programme à l’improviste, avec le centre social Plurielles comme point de chute le matin, et le Bateau Ivre (rendu disponible), pour l’après-midi. 

Pas encore quitté avec les surprises, nous avons reçu un appel de Mathieu Muselet, délégué numérique de la Ligue de l’enseignement Val-de-Loire, qui nous a demandé s’il pouvait venir accompagné… d’une délégation d’élus et de techniciens en provenance de Meurthe-et-Moselle ! En visite en Région Centre-Val-de-Loire, ces invités mystères étaient là pour sourcer sur un territoire inspirant, dans la perspective de créer un tiers-lieu sur leur propre territoire. L’exemple du Bateau Ivre arrivait donc à point nommé !

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De la façon de « passer le pont »

Vu du quartier du Sanitas, le Bateau Ivre est cette scène bien connue de tous les Tourangeaux, installée de l’autre côté de la frontière matérialisée par les lignes de chemin de fer. On la regarde depuis le quartier, sans toujours oser « passer le pont ». Même si depuis quelques temps, les « passerelles » se multiplient. Passerelle « matérielle » d’abord, fraîchement inaugurée, circulable « à vélo » et considérée comme un axe de désenclavement important du Sanitas. Passerelles « immatérielles » ensuite, comme l’inauguration de l’exposition photo « Mon Sanitas », entre les murs du Bateau Ivre. Coordonnée par le « bien-nommé » Espace Passerelle, cette exposition collaborative, a été réalisée par 112 photographes, avec les habitants du quartier du Sanitas. Autre exemple récent, les 10 ans de Wanted TV (boîte de production audiovisuelle locale qui travaille avec des jeunes en politique de la ville), hébergés également au Bateau Ivre. 

En cette journée du 12 juillet, nous avons, à notre tour, créé une passerelle au-dessus des voies de chemin de fer, en passant d’une matinée au Sanitas à une après-midi au Bateau Ivre. Ainsi, dès le matin, nos retrouvailles à Plurielles nous ont permis d’agréger de nouveaux témoignages inspirants de citoyenneté en action…

Comme celui de Marie, étudiante rencontrée aux Assises de la vie étudiante et Porte-Voix toute neuve, qui nous a offert le récit de sa participation à l’Université du citoyen de Châteauroux, et son regard plein d’enthousiasme sur l’événement.

Comme celui de Jérôme, président d’une association de modélisme aérien et trésorier de la Fédération régionale ULM & cie, qui a décidé d’appliquer sa passion pour la permaculture à tout ce qu’il touche.

Comme celui de Mighty, de Ti’Studio, qui nous a raconté la façon dont il travaille avec les jeunes des quartiers.

Comme celui d’Abdelkader, un prof de musique qui gère une radio associative à 10km de Tours : Fréquence Luynes.

En somme, un brise-glace éclectique et revigorant avant de visionner le film documentaire réalisé sur le chantier du Bateau Ivre : « Le Bateau Ivre, une utopie en chantier. » Une bonne façon de se mettre en condition pour la rencontre de l’après-midi, in situ, avec Brice (Guilloreau) programmateur du Bateau et Franck (Mouget), son homme-orchestre haut en couleurs et fort en verbe ! 

Mais avant de migrer, une pause s’imposait. Les repas partagés ayant ce pouvoir de délier les langues au diapason des papilles, nous avions, ce jour-là, choisi de goûter la cuisine familiale et métissée de Map cooking, alternative fraîche, savoureuse et éthique, à Uber Eats.

De la façon de ne rien lâcher

Après une marche digestive, nous poussions enfin la porte la plus grosse coopérative culturelle de France, avec sa gouvernance partagée entre 1 923 sociétaires (dont 250 associations, 30 entreprises, pas mal de collectivités et beaucoup, beaucoup, beaucoup de citoyens !) ! 

Pousser la porte du Bateau Ivre, c’est un peu comme de pénétrer dans le vaisseau amiral de la démocratie participative, appliquée à la culture. Café-concert sauvé par une impulsion citoyenne, salle de musique qui appartient aux habitants, lieu de spectacle qui s’anime à partir de ses sociétaires… ça ressemble à une utopie, mais c’est une réalité tangible, qui ne peut que susciter la convoitise d’un·e Porte-Voix !

Ce 12 juillet, nous voulions entendre le récit de cette aventure hors du commun pour en saisir les enjeux, prendre conscience de ce que fut cette longue lutte -entre avancées et reculades, convictions et doutes-, découvrir la foultitude des épreuves à surmonter et des étapes à franchir… en bref, prendre une belle leçon d’obstination et de détermination collectives, mesurer la puissance de cette résistance au temps qui passe. Car en matière de projet citoyen, la patience est mère de toutes les vertus. Combien de belles initiatives se sont ainsi volatilisées à l’épreuve du temps, sans qu’elles aient pu aboutir ? Pour le Bateau Ivre, cette traversée aura duré 12 ans !

12 ans de feuilleton, dans un rappel des faits en accéléré

2010- Le couperet…

Fermeture « définitive » du Bateau Ivre, après 28 ans de bons et loyaux services au spectacle vivant

… Et la levée de boucler citoyenne

Création de l’association Ohé du bateau contre cette menace de disparition et lancement d’une grande collecte populaire pour racheter la salle (130 000€ récoltés en moins d’un mois, en promesses de dons)

2012 – Le contrecoup

Rachat par une Société d’économie mixte d’aménagement (SEMEVIT), détenue à 78% par la Ville de Tours

2013 – L’entrée en résistance

Préfiguration du futur fonctionnement par le collectif et organisation de la 1ère distillation (grand rassemblement festif et populaire).

2015 – L’opportunité à saisir

La Semevit met en vente le Bateau et propose au collectif de formuler une offre d’achat prioritaire

2016 – L’élan

Levée de fonds citoyenne pour racheter la salle et constituer la SCIC Ohé avec tous les sociétaires

2018-2020 – La course de fond

Montage du projet de réhabilitation, démolition, recherche de financements (campagnes de souscription, recherche de subventions…), dépôt de permis de construire, réalisation des travaux…

2021 – La nouvelle vie du lieu

Réouverture et remise en fonctionnement avec 8 salariés à bord, et près de 2 000 passagers permanents, en gouvernance partagée

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De la façon de « faire ensemble »

« On s’est construit à l’envie ! », claironne Franck, avec un appétit intact. L’envie, c’est le carburant qui a permis au « Bateau » d’arriver jusqu’au port. En effet, c’est par la puissance du désir de faire quelque-chose par soi-même, que le projet a pu advenir. Tout repose sur une conception intransigeante de la coopération, qui fait de chaque sociétaire un élément actif et moteur du projet global, au même niveau que tous les autres. Un cadre égalitaire envers et contre tout, qui érige le « faire ensemble » et le « do it yourself » en principes structurants, pour remettre à plat et déconstruire tous les modèles existants et résister à la tentation de suivre les chemins déjà tracés. Le tout afin de bâtir un modèle qui ne ressemble qu’à lui-même, sans doute fragile, sans doute perfectible, mais authentique et sans concession, en harmonie avec le besoin exprimé. 

De quoi questionner le maire de Longwy, Jean-Marc Fournel, venu en délégation pour observer ce que la Ligue de l’enseignement du Centre-Val-de-Loire réalise en termes de tiers-lieux. Selon lui en effet, le modèle du Bateau Ivre n’est pas forcément « duplicable » ailleurs. Il est lié à un territoire, à une histoire spécifique. Chez lui, sur un territoire affaibli par la perte de 23 000 sidérurgistes, les citoyens ne sont pas encore prêts et la volonté municipale demeure la clé de la transformation, pour impulser un hub des musiques actuelles. Question de maturité ?

En tout état de cause, le Bateau Ivre illustre le puissant pouvoir transformateur et émancipateur de la volonté citoyenne. Comme le rappelle Brice, « Ça aurait été difficile de monter quelque-chose, si on avait écouté la ville ». Et aujourd’hui pourtant, c’est la Ville qui prend part au projet, à titre de sociétaire ! Ce qui ne manque pas de requestionner les mécaniques traditionnelles de pouvoir et de souveraineté…

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De la façon d’entreprendre autrement

Passé par la case « collectif » puis par la case « association », le Bateau Ivre évolue désormais sous la forme juridique d’une SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif) dénommée « OHÉ du bateau ». Comme une véritable entreprise, il possède un capital, il est soumis à des impératifs de rentabilité, il doit assumer ses coûts et ses charges de fonctionnement (500€/jour), ce qui n’est pas une mince affaire lorsqu’on s’est engagé à programmer tous les soir du mercredi au dimanche… Comme une entreprise responsable, il doit se poser chaque jour la question de « comment subvenir à ses propres besoins. »

Mais à la différence d’une véritable entreprise, ses bénéfices n’ont pas vocation à enrichir les sociétaires. Ils sont systématiquement réinjectés à son profit, afin qu’elle puisse croître et s’épanouir durablement. Ainsi chaque sociétaire possède une voix, quel que soit le nombre de ses parts sociales. Il en va de même pour les collectivités impliquées, considérées comme sociétaires au même-titre que tous les autres, et non comme « pourvoyeur de subvention ». Ainsi, « l’entreprise » préserve son indépendance, en même temps que son obstination à ne dépendre de personne.

De la façon de débattre et de confronter les points de vue

Bien au-delà du café-concert, le Bateau Ivre s’inscrit désormais comme un pilier de l’émulation politique et citoyenne au cœur de la cité. Au-delà des clivages, ce lieu rassemble, met ensemble. On y discute, on y débat, on y fait sens, on y partage ses convictions et ses doutes… 

C’est un lieu de résistance, mais qui s’inscrit dans une démarche constructive, avec la volonté de transformer la cité. Il s’agit de redonner aux citoyennes et aux citoyens la confiance dans leur pouvoir d’agir réellement et concrètement, pour revitaliser leur territoire, impulser de nouvelles dynamiques locales… Et c’est exactement l’objectif atteint par cette journée du 12 juillet !

En écoutant le récit de Brice et de Franck, en interagissant avec eux, mais aussi en racontant leurs propres expériences, en partageant leurs recettes et leurs astuces, les Porte-Voix ont fait l’expérience de ce Bateau Ivre, dans sa pleine dimension politique et citoyenne.

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De la façon de glaner des conseils, sans copier le modèle

Particule citoyenne de facto, le Bateau Ivre nous livre, par son aventure à rebondissements, de précieux conseils pour toutes les particules qui s’activent déjà ou souhaiteraient s’activer en région. Sans vouloir faire du Bateau Ivre un modèle (car on sait désormais qu’il faut se méfier des modèles « prêts à l’emploi »), nous retenons ces quelques « bases » universelles.

À la façon du Bateau Ivre, une particule citoyenne devrait :

 

Car au bout du compte, la seule chose qui compte, c’est Oser !

De la façon de revenir au Bateau sans trop tarder

Au terme de cette journée, subsiste une envie et une conviction : s’amarrer de nouveau prochainement au ponton du Bateau Ivre pour y organiser un événement phare autour de l’activation citoyenne. Ce qui constituera en filigrane, une belle revanche sur la clôture de l’Automne citoyen, qui devait s’y dérouler en 2020, et que le confinement nous a volé ! 

Alors à très bientôt, tous dans le même bateau !

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